Prise en charge médicale inadaptée et décès : quelle indemnisation ?

Par Marie-Line Bourges-Bonnat
Publié le

Chaque année, les services d’aide médicale urgente (SAMU) sauvent de nombreuses vies. Cependant, comme dans toute activité humaine, des erreurs peuvent être commises, et avoir de lourdes conséquences. En cas de décès du patient, comment sont indemnisés les proches ? Un arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes rendu le 18 février dernier illustre le type de raisonnement mené par le juge administratif.

Prise en charge médicale inadaptée et décès : quelle indemnisation ?

Les faits :


Les faits concernaient un homme de 29 ans, pris d’un malaise sur son lieu de travail, dans le département du Loiret.


Les pompiers étaient intervenus rapidement (dans les 12 minutes) et avaient immédiatement contacté le SAMU du centre hospitalier d'Orléans.


Le SAMU avait alors décidé de ne pas envoyer le médecin du SMUR, en confiant aux pompiers le soin de transférer le patient jusqu’à l’hôpital.


Malheureusement, et malgré l’intervention d’une équipe médicale en cours de transfert, le patient est décédé d’un arrêt cardio-respiratoire durant le trajet.




La procédure :


La veuve a engagé une procédure indemnitaire devant le tribunal administratif d’Orléans, en son nom, mais aussi dans l’intérêt de son mari décédé, et de leurs deux enfants.


Le tribunal administratif a fait droit partiellement à ses demandes, mais le jugement a été contesté en appel par le Centre hospitalier.


Celui-ci a cependant été finalement condamné plus lourdement qu’en première instance.




La raisonnement du juge administratif :


En pareille situation, le juge administratif doit raisonner en deux temps.


Il doit tout d’abord déterminer s’il y a eu une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier (erreur de diagnostic, prise en charge inadaptée d’un point de vue médical, retard dans la prise en charge etc…).


Cette première étape nécessite le plus souvent une expertise judiciaire, confiée à un expert désigné par la juridiction.


La seconde étape consiste à déterminer, en cas de faute avérée, quel montant accorder aux proches.


Cela n’est pas évident pour des considérations humaines, mais aussi sur le plan juridique, puisque si le préjudice doit être intégralement réparé, l’administration ne doit pas, de son côté, être condamnée à des sommes qu’elle ne doit pas.



La première étape du raisonnement : l’expertise et la détermination d’une faute.


Dans le cas d’espèce, l’expert désigné par la Cour de Nantes a estimé que les symptômes du patient correspondaient sans ambiguïté à un infarctus, ce qui aurait justifié une prise en charge médicale directement sur le lieu de travail.

L’expert a repris la chronologie des faits pour arriver à la conclusion suivante : si le SAMU avait envoyé une équipe médicale dès l’heure à laquelle il a été contacté par les pompiers, le patient aurait pu bénéficier de la présence à son chevet d’un médecin du SMUR avant même l’arrêt cardiaque, ou au plus tard au moment de cet arrêt.

Or, la présence de ce médecin aurait pu changer le cours des choses.

Dès lors, la faute a consisté dans la prise en charge tardive du patient par une équipe médicale.

 

La seconde étape : le calcul de l’indemnisation.


La Cour a, de façon très minutieuse, examiné la situation familiale du patient, en s’intéressant aux ressources du foyer, mais aussi aux particularités de l’affaire (caractère brutal du décès, existence de deux enfants en bas âge, dont un né quelques semaines avant le décès etc…).


La Cour a ensuite retenu un chiffrage pour chacun des postes de préjudices (perte de revenus futurs, préjudice moral…).


Cependant, la juridiction n’a pas retenu un montant d’indemnisation équivalent au premier chiffrage réalisé.


En effet, en cas de retard dans la prise en charge d’un patient ayant compromis ses chances de survie, le préjudice n’est pas constitué par le décès (lequel a pour cause directe l’infarctus), mais par la perte de chance d’éviter ce décès.


Le juge administratif indemnise donc la parte de chance en retenant un pourcentage.


En l’espèce, la Cour de Nantes a retenu que le patient avait perdu 85% de chances de survie, en se basant sur le nombre de vies sauvés dans des cas identiques entre 2005 et 2010.


Finalement, et après application de ce pourcentage, la veuve a obtenu une indemnisation totale à hauteur de 362 000 € environ , et chacun des enfants une somme de l’ordre de 52 000 €.


CAA Nantes, 18 février 2016, n°13NT02387

Partager cet article