Refus de permis de construire illégal et promotion immobilière: quelle indemnisation?

Par Marie-Line Bourges-Bonnat
Publié le

Il est d’usage pour les promoteurs immobiliers de prévoir dans les compromis de vente une condition suspensive tenant à l’obtention d’un permis de construire. Cela leur permet ainsi de renoncer à l’acquisition d’une parcelle s’il s’avère impossible d’y réaliser l’opération immobilière projetée, ce qui constitue une précaution indispensable. Ceci-étant, le refus de permis de construire venant mettre fin au processus d’achat peut se révéler illégal. En pareille hypothèse, dans quelles circonstances une indemnisation peut-elle être espérée ? Le Conseil d’Etat vient d’apporter quelques précisions à ce sujet.

Refus de permis de construire illégal et promotion immobilière: quelle indemnisation?

Les faits et la procédure:


En Normandie, une société de promotion immobilière avait demandé à un maire la délivrance d’un permis de construire pour édifier trois bâtiments à usage d’habitation sur une parcelle qu’elle projetait d’acquérir.


Bien évidemment, l’obtention du permis de construire constituait une condition suspensive dans le compromis de vente.


Le permis ayant été refusé, l’achat n’avait pas eu lieu.


La Société avait cependant obtenu, deux ans plus tard, l’annulation du refus du permis de construire devant le tribunal administratif de Caen.


Elle avait ensuite, dans le cadre d’une seconde procédure, sollicité la condamnation de la commune à lui verser des dommages intérêts pour le manque à gagner subi.


Le tribunal administratif de Caen avait rejeté la demande, mais en appel, la société avait finalement obtenu plus de 200 000 € devant la Cour administrative d’appel de Nantes.


Le Conseil d’Etat a quant à lui été amené à se prononcer en cassation, sur pourvoi de la commune.


A cette occasion, il a apporté un certain nombre de précisions sur les conditions dans lesquelles les promoteurs peuvent être indemnisés lorsqu’un maire vient, à tort, mettre un terme à une opération immobilière.



Quel régime de responsabilité ?


L’arrêt du Conseil d’Etat rappelle qu’en pareille hypothèse, c’est un régime de responsabilité pour faute qui s’applique, ce qui suppose la réunion de trois éléments :

  • Une faute ;

  • Un préjudice,

  • Un lien de causalité direct et certain


En l’occurrence, l’existence de la faute ne posait pas de difficulté, puisque l’illégalité du refus de permis de construire avait déjà été reconnue dans un premier jugement devenu définitif.

De façon générale, et par principe, une décision illégale est en effet toujours fautive.

Les contours du préjudice pouvaient également être assez facilement définis, puisqu’il s’agissait essentiellement d’un manque à gagner.

La difficulté portait cependant sur la réalité d’un tel préjudice, et sur le lien de causalité.


Le principe posé : l’absence d’indemnisation


Le Conseil d’Etat a profité de cet arrêt pour rappeler que pour être indemnisable, un préjudice doit être certain.

Or, et s’agissant de l’impossibilité de réaliser une opération immobilière, il considère que le préjudice en découlant (consistant en de la perte de bénéfices ou un manque à gagner) n’est qu’éventuel.

Le principe est donc l’absence de droit à indemnisation.


La « fenêtre » pour obtenir une indemnisation : l’existence de circonstances particulières.


Le Conseil d’Etat, après avoir posé le principe de l’absence d’indemnisation, a cependant entendu envisager une exception tenant aux « circonstances particulières ».

Pour la haute juridiction, l’indemnisation doit en effet devenir possible dès lors qu’il peut être démontré que le préjudice n’est pas éventuel, mais bien et bien direct et certain.

Pour que le préjudice puisse revêtir cette qualité, il faut que le promoteur puisse, par exemple, justifier d’engagements souscrits par de futurs acquéreurs, ou encore de l’état avancé des négociations commerciales.

L’arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes a donc été annulé au motif que celle-ci n’avait pas recherché l’existence de circonstances particulières permettant de s’assurer que le préjudice était bien direct et certain.

La juridiction d’appel devra de nouveau se prononcer sur cette affaire, en appliquant le raisonnement retenu par le Conseil d’Etat.

CE, 15 avril 2016, n°371274
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